
Faire fonctionner le numérique en santé : une question d’usage, avant tout
Dans les établissements de santé, l’enjeu n’est plus d’introduire des outils numériques, mais de les faire exister dans les pratiques quotidiennes. Les équipes sont déjà très sollicitées, les organisations complexes, les situations imprévisibles. Dans ce contexte, un outil n’est adopté que s’il s’intègre simplement dans les routines, sans ajouter de charge ni de friction.
Ce constat ne remet pas en cause la qualité des innovations : il souligne la nécessité de travailler l’usage avec autant d’attention que la technologie.
1. Observer les pratiques : un préalable indispensable
Chaque établissement fonctionne avec ses propres ajustements, souvent invisibles dans les schémas théoriques. Ce sont ces logiques quotidiennes — parfois très fines — qui déterminent la manière dont un outil sera réellement utilisé.
L’observation permet de comprendre :
- où se situent les détours,
- quelles sont les contraintes qui s’accumulent,
- quels gestes sont prioritaires dans l’action,
- comment les équipes s’organisent pour tenir la charge.
Cette matière est essentielle : elle évite les malentendus et oriente les choix de conception.


2. Faire émerger un langage commun
Un projet numérique mobilise des acteurs aux rôles et temporalités différentes: soignants, patients, aidants, direction, administration, partenaires techniques et externes. Ces visions ne s’opposent pas : elles s’additionnent. Mais pour que le projet avance, elles doivent pouvoir se rencontrer.
Le design offre un cadre simple pour cela :
- des temps d’échange structurés,
- des supports visuels clairs,
- un arbitrage partagé.
Cette mise en lisibilité facilite l’appropriation et sécurise les étapes.



3. Tester tôt, ajuster tôt
Un prototype — même très simple — permet d’identifier rapidement ce qui fonctionne et ce qui freine l’usage. Cette démarche évite d’attendre les phases tardives pour découvrir des écarts importants, difficiles à corriger ensuite.
Les tests sont conçus sur mesure, en fonction du service concerné et du produit envisagé. Ils permettent d’observer chaque aspect de l’expérience et d’en mesurer les effets. On vérifie ainsi si un geste ou une fonction s’intègre naturellement dans le flux de travail, si l’expérience proposée reste compatible avec le rythme du service, et si la coordination entre équipes est facilitée, tout en respectant les contraintes techniques ou organisationnelles.
L’objectif n’est pas de valider, mais d’ajuster.
4. Quelques enseignements tirés de nos projets
Nos interventions en santé montrent que l’usage réel joue un rôle déterminant dans la réussite d’un outil numérique.
UNIREIN — Mieux coopérer pour avancer plus vite
Les 11 partenaires impliqués avaient chacun leurs objectifs. Notre travail a principalement consisté à rendre la gouvernance plus lisible, grâce à des outils visuels et des rituels simples. → L’enseignement : une structure claire accélère l’expérimentation terrain.
KINVENT — Adapter un produit à des pratiques variées
Les professionnels du mouvement n'ont pas les mêmes besoins, selon leur discipline. L’observation permet d’ajuster l’offre pour rester cohérent avec les pratiques réelles. → L’enseignement : un produit peut être unique, mais les usages ne le sont jamais.
Sim&Cure — Faciliter la précision clinique
Pour Sim&Size, la question n’était pas d’ajouter des fonctionnalités, mais de fluidifier l'accès à l’information essentielle. → L’enseignement : une interface claire facilite la prise de décision.
DMS Imaging — Penser la mobilité en situation réelle
L’enjeu portait sur l’usage en environnement dense. Les tests terrain ont permis d’intégrer ces contraintes dès la conception. → L’enseignement : la mobilité se comprend dans le contexte, pas sur le papier.




5. Une filière qui avance en intégrant l’usage au pilotage
Les initiatives portées au niveau national comme local montrent un mouvement clair : la volonté de renforcer les liens entre innovation, terrain et adoption.
Les Tiers Lieux d’Expérimentation en Santé, par exemple, portent sur tout le territoire une dynamique de décloisonnement au service de projets plus efficaces, plus appliqués. En région Occitanie, l’agence AD’OCC ou Eurobiomed favorisent les liens de collaboration entre centres de soins et acteurs privés. Au sein de l’école ISIS à Castres, on met à disposition des élèves ingénieurs un living lab pour tester les projets hardware et software dans des conditions réelles d’un parcours de soin. Et à Montpellier, le CHU se transforme en intégrant à un niveau stratégique les fruits d’ERIOS, une démarche d’expérimentation fondée sur l’étude des usages et sur le co-design.
Ce mouvement va dans le bon sens :
- plus d’observation,
- plus de clarté dans les projets,
- des expérimentations plus rapides,
- une meilleure coordination entre les acteurs.


Un outil est adopté quand il facilite le travail, simplement
Faire fonctionner le numérique en santé ne repose pas sur la sophistication des technologies, mais sur leur capacité à accompagner les gestes réels. Lorsque l’usage devient un élément central du projet, les outils gagnent en fluidité, les équipes en sérénité, et les organisations en lisibilité.
C’est dans cette direction que nous travaillons : rendre l’innovation utilisable, utile et adoptable.




